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LE LIVRE ET L'ENFANT







Claire LAMBERT إعداد : الربيع حركات


LE POINT DE VUE DU PSYCHOLOGUE.
Traiter de l'apport du livre dans le processus de développement des jeunes enfants, c'est tout d'abord donner un statut au livre dans l'acte éducatif. Educatif et non pédagogique si on considère qu'il ne doit pas intervenir uniquement comme moyen d'acquisition des connaissances.
QUEL EST CE STATUT ?
Il est variable en foncti

on du contexte dans lequel le livre est utilisé, en fonction du stade de développement de l'enfant...
* Il est d'abord un objet ; c'est-à-dire qu'il peut être regardé, touché, manipulé, trois activités qui ont un rôle prépondérant au sein du développement psychomoteur de l'enfant.
* Il devient rapidement un intermédiaire et un moyen de communication privilégié au sein de la relation adulte-enfant.
Il représente alors un facteur très important de la construction des systèmes de communication et de la constitution de la personnalité de l'enfant.
* Il acquiert ensuite un rôle non négligeable dans les systèmes de relation entre pairs, tant en crèche qu'à l'école, permettant d'instaurer un dialogue bâti sur et autour d'un objet commun.
* Ce n'est qu'après qu'il obtiendra le statut de "vecteur de transmission des connaissances", ceci d'abord en étant le support indispensable de l'apprentissage de la lecture, principalement dans son versant "compréhension", et ensuite en permettant l'accès à diverses composantes informatives.
Spirale-Revue semestrielle de l'Ecole Normale de Lille-N°3
Après cette brève revue du "statut" du livre en tant que référent organisateur, il importe de proposer un rapide tour d'horizon de ce qu'est le développement psychologique du jeune enfant.
Du point de vue des capacités visuelles, importantes si on considère qu'un livre doit être regardé, l'enfant voit et suit des yeux dès la naissance mais la vision binoculaire n'est pas fonctionnelle avant trois mois. A quatre mois sa capacité visuelle est proche de celle de l'adulte, c'est-à-dire qu'il perçoit les détails et voit les objets à des distances variables. Elle n'est alors plus un obstacle à la possibilité de focalisation visuelle.
Concernant la construction du schéma corporel, importante tant dans le processus d'individuation que dans le développement de la compétence à organiser l'espace, on constate que les éléments de base sont présents avant trois ans (c'est-à-dire le tonus axial, la préhension, le langage). Mais c'est l'organisation fonctionnelle de ces éléments qui déterminera l'achévement "heureux" de cette construction. Et cette organisation peut être soit favorisée, soit entravée, en particulier par des facteurs extérieurs à l'enfant. Parmi ces facteurs, l'utilisation pertinente ou au contraire inappropriée de supports de la communication a un rôle non négligeable.
Si on s'intéresse au développement du langage, on peut citer Wallon qui accorde à ce dernier diverses fonctions de complexité différente.



* Il est d'abord la condition de l'individualisation et de l'identification des objets, des actes et du sujet. Il tiendra un rôle dans l'acquisition de la permanence de l'objet (indispensable pour développer la capacité à se représenter un objet même en son absence), mais aussi dans la structuration du Moi.
* Il est encore la condition de l'indépendance et de l'autonomisation de l'enfant. En effet l'échange verbal permet d'expérimenter la diversité des modèles, aussi bien des semblables que des rivaux.
* Le langage est la condition de la cohérence et de la stabilisation des représentations. L'apprentissage du langage permet entre autres à l'enfant, d'anticiper plus ou moins sur la connaissance et la compréhension. Il aide au développement de la métacognition.
* Le langage est enfin la condition de diversification, de facilitation des rapports sociaux, et par là il tient un rôle prépondérant dans l'accès à la communication.
A ces fonctions princeps repérées dans le langage, il faut en ajouter certaines autres, considérées comme secondaires, mais tenant cependant une grande place dans le développement de l'enfant, telle que par exemple, la fonction ludique. Celle-ci se retrouve aisément dans l'affection portée par les jeunes enfants aux comptines et jeux de rimes.






Dans l'apparition et le développement du langage, il faut noter que la stimulation linguistique (avec ou sans intermédiaire) et les interactions mère-enfant ont un rôle tout à fait caractéristique et incontournable.
Notons encore que l'on considère habituellement que la période linguistique démarre aux alentours de 10 mois, c'est-à-dire à l'époque où le bébé prononce ses premiers mots et commence à comprendre la signification de certains mots associés aux événements de la vie quotidienne. Ceci est important dans la mesure où on peut considérer qu'à partir de cette époque l'enfant sera capable d'accepter et d'apprécier des associations de mots et d'images et même l'écoute d'une histoire imagée.
Les progrès du langage enfantin vont principalement se marquer
par:
- l'enrichissement du vocabulaire
- l'acquisition de la structure grammaticale de la langue.
C'est entre 18 et 36 mois que cette acquisition va se poursuivre intensivement pour aboutir à un langage "constitué" ayant une valeur communicative parfaitement reconnue.
QU 'EST-CE QUE COMMUNIQUER ?
Il semble que pour différents auteurs (cités par Nadel, 1984), communiquer c'est être capable de décoder de façon stable chez les autres les signaux qu'on émet soi-même. De plus la communication suppose la capacité à "prendre la parole" et à "se faire entendre", c'est- à-dire la capacité à provoquer et maintenir une interaction sociale. Il faut souligner à quel point cette fonction du langage en tant que vecteur de la communication est importante dans les activités éducatives telles que celles qui consistent à apprendre à l'enfant à apprendre.






Pour Bruner (1987) le langage est un véhicule par lequel la culture rend possible l'existence d'une base commune, non seulement pour la communication mais aussi pour l'élaboration de la pensée. Il affirme encore sa conviction profonde de l'importance de la culture humaine dans le modelage de la conduite individuelle. Il s'appuie sur les travaux de Vigotsky pour déclarer qu'il est impossible de concevoir le développement humain comme autre chose qu'un processus d'assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l'adulte agissant comme médiateur de la culture. Si la communication entre partenaires de compétence inégale est parfois compliquée par l'existence de cette inégalité, on conçoit aisément, en s'appuyant sur les données de Bruner, qu'un livre bien choisi, - c'est-à-dire en fonction des compétences de l'enfant, capable de fournir à celui-ci des indices facilement reconnaissables et susceptibles de provoquer chez lui un appariement avec des phénomènes connus et intégrés et donc un désir de "communiquer" cette re-connaissance - ce livre donc peut être le support tout à fait fondamental du développement de la communication.
Dans l'étude des systèmes de communication, on perçoit rapidement l'importance de l'attention, en tant que processus cognitif, ceci à des niveaux différents.
Par exemple dans la période pré-langagière, les progrès les plus spectaculaires des compétences à interagir et à communiquer, résident dans l'accès à la médiatisation. Or la plupart du temps, c'est l'objet - qui gagne à être un livre - qui sert de dispositif d'étude de ces progrès, d'une part parce qu'il peut susciter des comportements sociaux repérables sans ambiguité puisque c'est un élément concret qui en est le motif, mais d'autre part, parce que le dispositif d'observation à base d'objet crée un cadre défini et répétable, ce qui permet de diminuer les interprétations à propos de l'intentionnalité; ceci est indispensable dans une étude objective du développement de la communication. Et on constate que les exemples de contact social les plus simples à repérer sur la base d'un motif externe (c'est-à-dire dont le motif est autre que les partenaires eux-même), sont les cas d'attention conjointe sur un même objet.
Un accord est depuis longtemps établi sur l'importance d'une telle capacité d'attention conjointe dans le développement de la compétence à communiquer. Par contre les avis divergent en ce qui concerne:
- ses origines, c'est-à-dire endogènes ou exogènes,
- ses conditions d'émergence, c'est-à-dire du fait de l'adulte ou du fait du bébé,
- sa date d'apparition, précoce ou tardive.




Nous ne pouvons envisager exhaustivement l'ensemble des données expérimentales en faveur de l'une ou l'autre option, mais nous nous devons de présenter celles qui nous semblent répondre le mieux à l'intérêt de l'utilisation du livre. Ainsi pour différents auteurs d'option constructiviste, la "socialisation" de l'objet est réalisée par l'adulte. Certaines expériences utilisant la vidéo mesurent les fixations visuelles d'objets placés dans une pièce, à la fois de la mère et de son bébé assis sur ses genoux. Les résultats vont en faveur de ce que la synchronisation de l'attention visuelle de la mère et du bébé sur le même objet est due en fait à la mère, même pour les bébés de près d'un an. Les auteurs en concluent que la synchronie du couple ne reflète pas une véritable réciprocité.
Pour certains auteurs, ces comportements d'attention conjointe sont retrouvés chez une majorité d'enfants de 8 mois (les 2/3). Ces mêmes auteurs montrent, dans une expérience impliquant cette fois-ci un adulte étranger et le bébé, que la proportion d'enfants qui regardent dans la même direction que l'expérimentateur augmente régulièrement avec l'âge (30% à 3-4 mois, 2/3 à 8-10 mois, 100% à 11-14 mois). Les auteurs en concluent que les bébés sont capables précocément de localiser spatialement le motif d'attention de l'expérimentateur, en tout cas avant un an.
Ces résultats nous paraissent particulièrement intéressants pour donner un ordre d'idée de l'âge auquel un enfant peut regarder un livre avec sa mère. En effet on constate qu'à 8 mois, l'enfant dont le développement psychomoteur lui permet de conserver la station assise suffisamment longtemps sans fatigue, dont la perception visuelle est tout à fait performante, est aussi parvenu à un âge auquel il peut faire attention à ce à quoi l'adulte fait lui-même attention. Il nous semble dès lors, que dans ce cadre, l'apport du livre va surtout être d'ordre à "maximaliser" le démarrage de la période linguistique.
Nous souhaitons encore citer certains travaux de Brazelton (1982) qui montrent que les interactions entre la mère et le nourrisson ne se construisent pas aléatoirement et présentent des cyclicités indispensables pour que ces interactions aient un rôle organisateur. Il a suivi des dyades mère-enfant et a ainsi montré qu'au cours des interactions, l'attention et le comportement moteur du bébé en présence de sa mère, sont cycliques. Il a alors montré combien la quantité d'informations affective et cognitive qu'un parent peut transmettre dans un tel moment - compte tenu de la qualité cyclique de l'interaction - était fort différente selon que la mère est sensible ou non aux besoins de son enfant de la regarder ou de regarder ailleurs. Un travail effectué dans le cadre d'un stage de fin d'études de psychologie (Hayes et Marques, 1986) sur une population Quart-Monde de Roubaix, a permis de montrer que, quand une rééducation précoce des capacités d'attention réciproque aux demandes et besoins de la mère et de son bébé pouvait être envisagée, la communication peu à peu se rétablissait
Dans cette expérience, les psychologues ont entre autres, appris aux mères à regarder un livre avec leur enfant.
Nous parlions au début de ce paragraphe, de l'attention comme processus cognitif situé à des niveaux différents. Il faut en effet la considérer également comme processus actif de traitement de l'information, ce qui est tout à fait fondamental dans la réflexion que l'on peut avoir sur l'apport informatif du livre dans le développement du jeune enfant. Or de mutiples travaux ont montré que plus les mères encouragent leur jeune bébé (3-4 mois) à "porter attention aux stimulus" (en leur parlant, en leur donnant un objet, en le faisant manipuler, en pointant des stimulus pertinents), meilleur est le résultat de ces enfants à un an à une échelle de développement et plus riche est leur vocabulaire par la suite. Chez les enfants plus grands Inizan (1980) montre que certaines différences entre enfants au cours de l'apprentissage de la lecture peuvent être expliquées par des différences de fonctionnement des processus attentionnels.
Ainsi tant au niveau de l'attention conjointe qu'à celui de l'attention comme processus actif de traitement de l'information, le livre peut jouer un rôle d'éveil et de maintien.
EN CONCLUSION
Comme on le voit, le livre peut avoir, chez l'enfant de 8 à 36 mois un rôle prévalent dans le développement du langage, l'instauration des relations adulte-enfant et la mise en place des systèmes de communication.
Nous n'avons pas fait intervenir son rôle dans le développement de l'imaginaire, car il nous semble que celui-ci ne peut se développer avec cohérence que quand les fonctions de base sont déjà organisées.
Par contre nous voudrions attirer votre attention sur le rôle "destructeur" qu'il pourrait avoir si l'adulte ne le considère pas comme support d'un moment privilégié de plaisir partagé entre la mère et son bébé.
Il ne doit, nous semble-t-il, pas être considéré comme le moyen d'accéder à la lecture. Il ne peut, au mieux chez l'enfant de cet âge, que constituer la base de la mise en place de pré-requis indispensables à l'apprentissage de la lecture, pré-requis tels que :
- l'intérêt pour le livre
- le développement du vocabulaire
- la capacité de transférer des représentations de modalités sensorielles différentes
- l'envie de faire comme les grands, et ce même si les pré¬requis ne semblent plus être "au goût du jour".
Si on ne tient pas compte de cela, plutôt que de développer le plaisir du livre, on peut en provoquer une aversion difficilement récupérable.






Nous souhaiterions ajouter quelques mots de ces "pédagogies" qui cherchent à faire de tous les bébés des "super-bébés" .
Si l'on ne peut qu'inciter parents et acteurs du système éducatif à développer autour de l'enfant un environnement stimulant, - à condition toujours de tenir compte des compétences de l'enfant et de ne pas provoquer de phénomènes de saturation -, il faut savoir que certaines pédagogies développées aux Etats-Unis et introduites en France, qui initient des bébés de quelques mois à la lecture, au calcul, au dessin, à la musique,... provoquent d'importantes réserves des pédiatres et psychologues américains qui s'inquiètent des dépressions de plus en plus souvent constatées chez de très jeunes enfants.
Nous souhaitons conclure en réaffirmant que le livre, bien choisi, ne doit chez le jeune enfant qu'être source de plaisirs, de la découverte, de l'apprentissage, de la communication.
Les propositions que le psychologue peut faire quant au choix du livre sont qu'il faut tenir compte de la facilité d'accès à ce livre par l'enfant. C'est-à-dire qu'il doit s'y reconnaître, y retrouver un environnement familier dans lequel peuvent apparaître des éléments nouveaux qui ne seront pas alors perturbateurs. Ceci aussi bien pour l'image que pour le texte.
Il faut encore permettre à l'enfant de choisir ses livres et lui donner les moyens d'en découvrir de nouveaux (par le biais des bibliothèques par exemple).
Enfin il faut savoir qu'il est aussi important de choisir le moment le plus favorable à la "lecture" d'un livre, c'est-à-dire que les deux acteurs doivent être disponibles.
De plus il faut que, matériellement parlant, l'enfant ait accès aussi facilement à ses livres qu'à ses jouets, car il doit acquérir aussi l'envie de les regarder non plus uniquement en présence de quelqu'un d'autre, mais pour lui-même.

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