Introduction
Tout enseignant doit se pencher, à un moment ou à une autre, sur les « outils d'apprentissage ». La mémoire en est un. Or, on ne s'en préoccupe généralement que lorsqu'elle fait défaut.
Elle a été, en effet, trop longtemps délaissée. On peut l'expliquer par le fait qu'elle a été longtemps liée à un postulat de déterminisme la concernant.
Antoine de la GARANDERIE (1920-2010 ; philosophe et pédagogue français) est l'auteur de la théorie pédagogique des « gestes mentaux d'apprentissage ». Selon lui, la mémoire n'est pas un acquis, c'est, au contraire, quelque chose qui se construit.
La mémoire est présente très tôt dans la vie d'un individu : il s'agit de la « mémoire épisodique ». Le processus s'effectue en deux temps :
- un temps de réception de l'information
- dans un second temps, intervient la « mémoire épisodique » qui retient l'information.
Un enfant a la « capacité de souvenir » dès l'âge de 6 mois ; un enfant de 8 à 9 mois est capable d'enregistrer des évènements de manière assez construite. Dès 7 mois, un bébé peut , par exemple, rechercher un objet qu'il
a vu.
La mémoire nous habite de manière implicite et passive. Nous en avons très souvent une idée fausse.
I. Que savons-nous de la mémoire ?
Quelques idées... pas toutes justes :
- La mémoire est la faculté des « imbéciles ». (faux)
- La mémoire est un don. (C'est faux, la mémoire se construit ; tout pédagogue se doit d'aider les élèves à développer leur mémoire.)
- Nous sommes tous égaux face à la mémoire. (Non, car nous avons tous une histoire différente ; les émotions ont une influence sur la mémoire : suite à un traumatisme, des souvenirs négatifs disparaissent ; en cas d'émotions positives, c'est l'inverse qui se produit : des liens peuvent s'établir, qui optimisent la mémoire.)
- L'oubli est anormal. (faux : la mémoire n'est pas illimitée ; il est nécessaire que des souvenirs disparaissent pour que d'autres puissent être mémorisés.)
- Nos souvenirs sont toujours exacts. (faux : le mécanisme de « reconstruction » est une réalité occultée parfois.)
- La mémoire régresse avec l'âge. ( faux : la mémoire des enfants n'est pas supérieure à celle des adultes, mais il y a nécessité d'entretenir cette mémoire tout au long de la vie.)
- Nos souvenirs sont impérissables. (C'est parfois vrai, quand ils sont liés à une émotion forte.)
- La mémoire s'entretient. (Oui : il n'y a que s'il y a des lésions neurologiques que les problèmes peuvent survenir ; les personnes âgées ont souvent du mal à parler d'un événement qui s'est passé la veille, mais se souviennent très bien de souvenirs anciens : ces évènements ont été évoqués très fréquemment au cours de leur vie, un « circuit » s'est constitué dans le cerveau, d'où toute l'importance de la répétition dans le travail de la mémoire.)
II. Quelques généralités sur la mémoire
- La mémoire est une faculté importante mais, quelque part, peu fiable.
^ Les souvenirs (donc les apprentissages) ne restent longtemps en mémoire que s'ils ont fait l'objet d'un codage.
^ Beaucoup de choses (qui pourraient nous faire souffrir) basculent directement dans l'inconscient. (Cf. « instinct de survie ») ; nous remanions, transformons nos souvenirs en fonction de nos attentes. C'est ce qui est à l'origine
des mécanismes de fabulation.
^ Face à une situation durant laquelle on est appelé à réagir et si notre mémoire n'a pas enregistré les gestes nécessaires, elle en fabrique : c'est le mécanisme de « refabrication » (Cf. « cellule d'urgence »)
- La mémoire n'est pas un simple « entrepôt mental ».
- C'est une construction complexe.
L'émotion positive est importante dans sa construction. La mémoire est une construction complexe d'éléments enregistrés, rangés en fonction de leur importance, selon des procédures de mémorisation.
- Connaître et maîtriser ses mécanismes, c'est enrichir la mémoire.
III. Les procédures de mémorisation
1. L'architecture modulaire de la mémoire
La mémoire peut être représentée comme une succession de modules où les informations sont « construites » en mots ou images, puis en concepts.
niveau sensori-moteur
(perceptions : iconiques, auditives, vocales...)
I
niveau symbolique
(mémoire imagée, mémoire lexicale)
I
niveau conceptuel
(mémoire sémantique)
^ La mémoire s'alimente donc à plusieurs sources : niveau sensori-moteur visuel, auditif mais aussi kinesthésique (C'est la « mémoire du corps » qui porte tous les indicateurs de le gestion de l'espace et du temps.)
Tout ce que nous apportent nos sens est enregistré dans notre mémoire ou disparaît.
C'est à ce niveau que tout se joue et qu'il faut intervenir en premier lieu avec les élèves : au niveau
sensori-moteur.
2. Les mécanismes de la mémoire
stimulus (registre sensoriel)
I
mémoire épisodique
I
mémoire procédurale
(le « codage » s'effectue à ce stade.)
I
mémoire à long terme
La mémoire à court terme :
- C'est la « mémoire active ».
- Durée de rétention : 15 à 20 secondes
- Capacité : 5 à 7 éléments (Les enfants intellectuellement précoces peuvent enregistrer une quarantaine d'éléments dans leur mémoire à court terme.)
Un exemple en calcul mental : 3 + 5 + 8
Il est extrêmement important pour l'élève de connaître les tables car, s'il met trop de temps à retrouver le résultat de 3 + 5, il risque d'oublier le troisième terme : 8.
^ La mémoire à court terme est la mémoire des faits récents ; on l'appelle aussi « mémoire de travail » (phase de traitement de l'information).
Ce n'est pas une « zone de stockage » ; il faut aussi travailler avec les élèves à ce niveau. Quels sont les procédés de travail de cette mémoire à court terme ?
La mémoire de travail s'opère par trois dynamiques particulières :
- la catégorisation
- l'association
- les constructions mnémotechniques (ex : mais-ou-et-donc-or-ni-car)
La mémoire à long terme :
- C'est la « bibliothèque de nos souvenirs ».
- Elle est régie par des règles : ^ la temporalité
^ le classement
- Elle doit être activée : mécanisme d'association
La mémoire à long terme se compose de deux types de mémoire :
- la mémoire implicite (C'est là que sont stockées toutes les conduites « réflexes ».)
- la mémoire explicite (C'est là que sont stockés tous nos souvenirs.)
IV. Comment outiller les élèves ?
Quand la mémoire fonctionne chez un élève, il n'a aucun problème d'apprentissage. ^ La plupart des difficultés d'apprentissages sont dues à un déficit de mémoire.
1. Quelques exemples d'exercices:
Exemple 1 : « retenir une dizaine de dessins » (un escargot, un œil, un peigne, un verre, un camembert, une brosse, une bouteille, un fer à repasser, une carotte, un morceau de gruyère)
^ demander aux élèves quelles procédures ils utilisent pour mémoriser ces dessins.
On peut, pour mémoriser, effectuer un codage par catégorisation (ex : les aliments) ou un codage spatial (situer les objets les uns par rapport aux autres).
On peut aussi faire appel à d'autres procédures : catégoriser en fonction des couleurs, des formes, des tailles, de l'usage, par association lexicale, sémantique.
Exemple 2 : « retenir 5 mots »
- fauteuil
- manteau
- objectivité
- hirondelle
- canapé
^ demander aux enfants de retrouver ces mots, en leur présentant, comme aide, le support suivant :
- CNP
- OBJ
- HDL
- MAN
- FAU
^ Implications sur le plan pédagogique : orthographe :
On sait qu'on retient mieux ce qui a du sens : l'orthographe d'un mot est mieux retenue quand elle est perçue dans un contexte de sens.
L'unité minimale dans l'apprentissage de l'orthographe est généralement le mot. Ce n'est pas suffisant : il faut travailler sur des éléments du mot (Cf. jeux de ce type).
Exemple 3 : « mémoriser un dessin composé de diverses formes géométriques » ^ Pour aider les élèves à mémoriser ce dessin, on peut avoir recours à leur mémoire motrice :
- 1ère étape : leur demander de reproduire ce dessin (avec le modèle) en suivant leur main, en se concentrant sur leur geste
- 2ème étape : demander aux enfants de dessiner « dans leur tête » (yeux fermés) : intériorisation du geste
La mémoire motrice est à développer chez les élèves.
2. L'importance de l'attention
- L'attention est renforcée par le besoin ou l'intérêt, la motivation, le sens.
- Elle doit être ciblée.
L'origine de nombreux problèmes d'apprentissage des élèves est d'une réalité qui échappe à l'école. Nous accueillons des enfants qui, pour des raisons dues au contexte éducatif, sociétal, n'ont pas les préalables à la construction des apprentissages (registre de la constitution physiologique et psychologique de la personne).
L'un de ces préalables, indispensable à l'apprentissage, est celui de l'attention.
En effet, la mémoire ne fonctionnera pas sans le facteur incontournable de l'attention qui, ensuite, permettra de développer la concentration qui, seule, permet le codage, c'est-à-dire l'intériorisation des savoirs et des apprentissages.
L'attention peut être renforcée par un contexte pédagogique et éducatif.
L'élève sera d'autant plus attentif si l'apprentissage répond à un besoin, s'il sait à quoi servira cet apprentissage, s'il est motivé.
La capacité d'attention est différente d'un élève à l'autre.
L'école est construite sur des socles qu'on pense acquis par tous les élèves, ce qui n'est pas le cas.
Il faut donc aussi travailler l'attention sensorielle.
3. Focus sur le codage
Les travaux réalisés par Antoine de la GARANDERIE sur le concept de « gestes mentaux » ont été repris par d'autres chercheurs : on parle aujourd'hui de « procédures mentales ».
Procédure visuelle :
Elle consiste à élaborer des images « dans sa tête », puis à analyser ces images pour en dégager des éléments spécifiques qui en faciliteront la mémorisation.
Cette phase d'analyse est indispensable ; elle doit impérativement passer par le langage.
L'étape suivante consiste en une procédure « auto-visuelle » : le sujet se place lui-même dans l'image.
Procédure auditive :
Dans les apprentissages, il faut associer, à la procédure visuelle, la procédure auditive. (ex : déstructurer le langage, si c'est nécessaire.)
Un exemple concret : l'apprentissage du vocabulaire
Pour qu'un élève intègre bien un mot de vocabulaire, il est nécessaire qu'il voie le mot, le lise, l'épelle, le décompose en syllabes et l'écrive.
Plus ces procédures sont répétées, mieux se fait l'acquisition.
C'est la même chose pour les règles de grammaire, les tables de multiplication....
Procédure kinesthésique :
Elle est nécessaire pour la mémorisation d'une carte géographique, par exemple. L'élève décrit la carte avec des mots, la reproduit.
V. L'oubli
1. Qu'est-ce que l'oubli ?
- C'est un phénomène normal, dû à la plasticité de la mémoire.
- Il y a des oublis « motivés ».
- Le trou de mémoire a un sens qu'il faut découvrir, mais il résulte :
^ du fait que nous n'avons jamais emmagasiné l'information ^ de l'interférence avec de nouvelles informations ^ de la distorsion systématique des faits ^ de l'incapacité à retrouver l'information
L'oubli vient aussi de l'abstraction mnésique : la mémoire ne retient qu'un élément prégnant.
Le stress et les émotions négatives perturbent le fonctionnement de la mémoire et sont aussi à l'origine
d'oublis.
2. Causes des dysfonctionnement de la mémoire à l'école
- l'inhibition intellectuelle
- l'anxiété, l'état dépressif
- la dysphasie
Conclusion : Les conséquences pédagogiques
A l'école, Il faut donc :
- favoriser l'attention
- susciter l'intérêt
- faciliter le codage et les procédures de rappel (gestion mentale)
- de l'intérêt de la répétition mais.
pas sans compréhension (Il faut toujours présenter une notion dans un contexte de sens : un élève ne peut apprendre par cœur une règle qu'à partir du moment où il a compris le sens de cette règle.)
Il faut aussi penser au codage kinesthésique qui est prééminent dans les apprentissages.
Pour aider un élève à apprendre une leçon, penser aussi à baliser le texte d'une chaîne de mots qui permet d'en faire apparaître le sens. (ex : souligner les mots, jouer sur les couleurs.)
Aider l'élève passe par :
- l'observation de ses stratégies
- sa mise en introspection (Comment as-tu fait pour. ?)
- la proposition de méthodologies (procédures visuelles, auditives, kinesthésiques)
- le travail de la mémoire tout au long des activités (donner aux élèves l'habitude de « coder », en fermant les yeux, en redisant ce qui a été écrit au tableau, ce qui a été dit.)
- le développement de la vigilance, de l'attention, de la mémorisation (Pour développer l'attention, penser à travailler toutes les entrées sensorielles, y compris le goût, l'odorat, le toucher. même à l'école élémentaire)
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